LE VASE DE RUBIN

Nous avons toutes et tous déjà vu cette illustration du vase d’Edgar Rubin opposant deux visages sur un fond de couleur contrastante formant un vase. Ce dessin dépeint la perception figure-fond « …un principe de psychologie gestaltiste et de linguistique cognitive selon lequel nous faisons une distinction entre la figure, qui se détache et qui possède un contour défini, et le fond moins distinct. Toute perception, toute représentation mentale et toute structure sémantique se diviserait ainsi en un avant-plan et un arrière-plan. »1 La perception figure-fond consiste en l’aptitude à discerner des formes et des choses en distinguant et en séparant les plans avant et arrière. Il s’agit donc de « … l’habileté à séparer les données essentielles des informations superflues. »La perception figure-fond tend aussi à démontrer la difficulté à intégrer plusieurs interprétations simultanément. Cela sied bien au traitement réservé aux situations de violences conjugales masculines qui relèguent à l’arrière-plan les origines patriarcales persistantes de ce fléau.

 

Par exemple, quand on choisit de qualifier un meurtre conjugal de crime passionnel, ne choisit-on pas de laisser entendre que la passion, et par ricochet l’amour, peuvent conduire au meurtre et l’expliquer? Ne choisit-on pas du coup d’occulter le contrôle, la domination, le caractère criminel des violences exercées? Quand on dépeint le meurtrier comme étant dépressif, à l’état mental instable, comme traversant un épisode de vie difficile, ne choisit-on pas de cacher les violences exercées pour qu’il soit perçu comme la victime d’éléments sur lesquels il n’aurait aucune prise? Quand pour expliquer les origines d’un meurtre conjugal on invoque la chicane de couple, ne va-t-on pas jusqu’à prétendre que les forces et les responsabilités étaient partagées également entre les 2 partenaires? Quand on souligne que le conjoint meurtrier n’acceptait pas la séparation initiée par la femme, ne laisse-t-on pas planer l’insinuation subtile que les femmes doivent demeurer auprès de leur conjoint ou que la rupture n’est acceptable qui si c’est l’homme qui l’initie? Ne cherche-t-on pas à inverser la responsabilité du crime? Les vocables utilisés ne sont pas sans conséquence sur la compréhension populaire des violences faites aux femmes, notamment des violences conjugales masculines. Le traitement médiatique lacunaire réservé aux meurtres conjugaux influence les perceptions de ce fléau social puisque certains aspects sont presque invariablement mis en avant-plan, alors que d’autres sont injustement laissés dans l’ombre.

 

Qu’est-ce qui explique le choix fréquent de recourir à des termes tout aussi ambigus, qu’inappropriés? En général, les gens croient ce qu’ils ont envie de croire. L’écrasante réalité des dominations et des violences demeure sans doute trop difficile à envisager de front. N’est-il pas plus réconfortant de croire que les violences conjugales sont le fruit d’individus dépressifs ou atteints de folie que de considérer qu’elles reposent sur l’exercice d’un contrôle sciemment opéré? Toutefois, l’éradication des violences conjugales masculines ne saurait aboutir sans que la réalité soit mise à l’avant-plan.

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Le principal fléau de l’humanité n’est pas l’ignorance, mais le refus de savoir.  –  Simone de Beauvoir

 

Monic Caron, pour L’Alliance gaspésienne