Pour un avenir sans violence...
DÉGENRER POUR DÉRANGER
En 1978, je suis en 3e secondaire. Le professeur de français propose une dictée. Je suis plutôt forte en français et j’aime bien ce genre d’exercice. Au cours suivant, quand je reçois ma feuille corrigée, l’enseignant a souligné plusieurs « fautes » de français… Comme tout le texte était à la première personne du singulier, j’ai fait les accords au féminin. Je le rencontre pour défendre mon point de vue. Il me dit que l’auteur est un homme et que de toute façon, le masculin l’emporte sur le féminin. Plutôt timide à l’époque, le sentiment d’injustice l’emporte toutefois sur la gêne. Je lui indique qu’il n’avait pas mentionné le nom de l’auteur, que la dictée sert à évaluer notre maîtrise de la langue écrite et que de surcroît, les garçons ne s’exposaient pas à ces « erreurs ». Non sans fierté, j’ai réussi à le convaincre et ma note fut révisée à la hausse! Vous l’aurez compris, mon attachement à la féminisation, et à travers elle à l’égalité, ne date pas d’hier!
On pourrait croire qu’en français, le masculin l’emporte sur le féminin depuis toujours et que cette règle est immuable, mais il n’en est rien. C’est à partir des 17e et 18e siècles que des hommes influents s’attaquent aux terminaisons féminines, et masculinisent la langue. D’ailleurs, certains vocables sont résolument pris d’assaut, ceux bien sûr qui réfèrent à des occupations « savantes » : médecine, autrice, professeuse, philosophesse par exemple, alors que les vocables spectatrice, serveuse et tenancière demeurent. Les efforts pour évincer le féminin n’ont de cesse, à preuve : « Pas plus que la langue française, la raison ne veut qu’une femme soit auteur. Ce titre, sous toutes ses acceptions, est le propre de l’homme seul »1. Il en va de même pour les accords. Alors qu’on accordait jadis le verbe et l’adjectif avec le sujet le plus proche, on disait par exemple les femmes et les hommes sont inscrits et les hommes et les femmes sont présentes, le combat pour la primauté du masculin a évincé la syntaxe de proximité, pour imposer en vainqueur le masculin « … le genre masculin étant le plus noble doit prédominer toutes les fois que le masculin et le féminin se retrouvent ensemble »2. Comme bien d’autres choses qui servent habilement le patriarcat, la primauté du masculin comme étant générique, à savoir désignant l’espèce sans distinction de sexe, est calculée. Elle n’est pas inhérente au français, mais s’inscrit plutôt dans un combat en faveur de la supériorité masculine, mené par des grammairiens sexistes et des savants misogynes déterminés à faire disparaître le féminin des professions nobles. Les femmes ont ainsi été privées d’une langue qui leur permettait de se reconnaître et, lorsque les 2 genres se rencontrent, le masculin l’emporte, le féminin s’efface! D’ailleurs, la masculinisation des métiers traditionnellement féminins, se fait avec plus d’empressement, c’est le cas par exemple de sage-homme recommandé par l’Office québécois de la langue française alors que quelques hommes suivaient le cours, mais qu’il n’y en avait pas encore qui pratiquaient. Comme quoi la langue s’adapte plus aisément aux hommes qu’aux femmes!
La langue française s’est efforcée de rendre les femmes invisibles, pas uniquement sur papier, mais dans l’imagination, puisque les mots permettent de former des associations. Masculiniser la langue a permis de contrôler la conception du rôle des femmes dans la société. Si le masculin l’emporte sur le féminin, par extension, l’homme a plus de pouvoir que la femme, et cette oppression ouvre la porte à toutes les autres! Les violences faites aux femmes n’existent et ne perdurent que dans une société qui les tolèrent, que dans une société patriarcale.
Il semble que les hommes aient voulu nous ravir jusqu’aux noms qui nous sont propres. Je me propose donc, pour nous venger, de féminiser tous les mots qui nous conviennent. (Mme de Beaumer, 1762).
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Monic Caron, pour L’Alliance GÎM